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Décision de la Cour Suprême du Canada dans la cause Masterpiece inc. c. Alavida Lifestyles inc.

21 juin 2011

La Cour suprême du Canada a tout récemment rendu une décision très attendue dans la cause de propriété intellectuelle opposant Masterpiece Inc. et Alavida Lifestyles Inc. Cette décision a infirmé les décisions antérieures de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. L’Association internationale des marques de commerce (« AIMC ») a été un intervenant dans cette cause et elle a vu la Cour adopter sa position. Ian MacPhee, avocat de Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, était à la tête du comité de l’AIMC qui a mené l’intervention dont les résultats auront une incidence significative sur le droit de la propriété intellectuelle au Canada, comme il est expliqué dans le résumé qui suit.
 

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Décision de la Cour Suprême du Canada dans la cause Masterpiece inc. c. Alavida Lifestyles inc.

L’appelant dans la cause Masterpiece Inc. a commencé ses activités dans le secteur des résidences de retraite en Alberta (province de l’Ouest canadien) en 2001. Dans ce cadre, elle a, outre son nom commercial, utilisé plusieurs marques de commerce non enregistrées comprenant le mot MASTERPIECE, dont MASTERPIECE THE ART OF LIVING. L’intimé, Alavida Lifestyles Inc., a déposé une demande « intention d’utiliser » afin d’enregistrer la marque de commerce MASTERPIECE LIVING, le 1er décembre 2005 à l’égard de services semblables. Cette demande n’a pas été contestée et la marque a été enregistrée quand Alavida a commencé à l’utiliser en Ontario (province de l’Est canadien).

Les efforts ultérieurs de l’appelant pour faire enregistrer ses propres marques de commerce ont échoué en raison du dépôt antérieur de Alavida. Masterpiece, Inc. a donc déposé une demande à la Cour fédérale pour faire annuler l’enregistrement. L’appelant a contesté sa validité en arguant que l’intimé n’était pas la personne en droit d’enregistrer la marque de commerce MASTERPIECE LIVING, puisque sa marque de commerce créait de la confusion par rapport au nom commercial et aux marques de commerce préalablement utilisés de l’appelant.

Tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont rejeté la demande, arguant qu’il n’y avait aucune probabilité de confusion. Il semble qu’en arrivant à cette décision, la Cour d’appel fédérale ait tenu compte du fait que les noms commerciaux et marques de commerce respectifs des parties ne sont pas utilisés dans les mêmes régions. Si la géographie était réellement un élément pertinent, Alavida, dont les activités sont à l’Est, pourrait arguer qu’il n’y pas de confusion entre ses marques de commerce et le nom commercial et les marques de commerce de Masterpiece, Inc. puisque le 1er décembre 2005 celle-ci n’exerçait ses activités qu’en Alberta. C’est sur cet argument et cet argument seulement que l’AIMC a cherché à obtenir et obtenu le droit auprès de la Cour d’intervenir comme partie désintéressée. L’AIMC a argué que le fait que les noms commerciaux et les marques de commerce des parties n’étaient pas utilisés dans les mêmes régions n’était pas un élément pertinent pour déterminer la probabilité de confusion. Il a été notamment avancé que les paragraphes 6(4) et (4) de la Loi sur les marques de commerce (Canada) exigeaient clairement que la probabilité de confusion soit établie sur la base du fait que le nom commercial et les marques de commerce en cause sont utilisés dans la même région (le marché hypothétique), sans égard au fait que ce soit ou non le cas.

La Cour suprême du Canada était entièrement d’accord avec la position de l’AIMC sur cette question. L’honorable juge Rothstein, au nom de la Cour, a fait remarquer que le test du marché hypothétique reflète l’intention de la législature de donner une portée nationale à la protection des marques de commerce au Canada.

Est-ce que les frais liés aux biens et services en question réduisent la probabilité de confusion?

En ce qui représente une clarification importante de l’un des facteurs utilisés pour évaluer la probabilité de confusion, la Cour a rejeté l’approche adoptée par les cours inférieures. Le juge de première instance a soutenu que plus les services en cause étaient chers, plus les consommateurs prendront leur temps pour prendre leur décision d’achat, ce qui réduit la probabilité de confusion. La Cour suprême du Canada, dans son analyse, est revenue aux premiers principes. Le juge Rothstein a invoqué le test traditionnel servant à déterminer la confusion, c’est-à-dire que celle-ci doit être évaluée du point de vue de la première impression d’un consommateur moyen la première fois qu’il voit la marque de commerce utilisée en rapport avec les services en cause. En effet, le juge Rothstein a indiqué que même si la confusion initiale peut ultérieurement être résolue grâce à une délibération attentive du consommateur, cela n’empêche pas le fait que le consommateur a éprouvé de la confusion comme première réaction.

La Cour en particulier fait remarquer que rien dans l’enregistrement d’Alavida ne restreint son utilisation dans des marchés haut de gamme. La Cour a aussi critiqué l’évaluation du juge de première instance de l’usage réel qu’a fait Alavida de ses marques de commerce, notant que cela ne reflétait pas la portée complète des droits exclusifs accordés à Alavida en vertu de son enregistrement. Le juge de première instance a souligné le fait qu’Alavida a utilisé MASTERPIECE LIVING comme un slogan qui accompagnait son identité d’entreprise, alors que Masterpiece, Inc. s’est servi de MASTERPIECE pour identifier la société même.

Rôle réduit des experts en sondage et en linguistique dans l’évaluation de la confusion.

La Cour a expressément critiqué le travail des experts en sondage utilisés dans cette cause. Elle a semblé dire que la question de savoir si les consommateurs seraient probablement confus ou non relevait du juge de première instance et que les experts n’avaient qu’un rôle modeste à jouer. En effet, la Cour a expressément suggéré que les officiels de cour chargés de la gestion des fichiers devraient se demander sérieusement si cette preuve est même nécessaire, surtout compte tenu des frais pour les parties.

Conclusion

Il va sans dire que l’appelant vainqueur a été responsable d’une bonne partie de sa mésaventure dans les cours inférieures. S’il avait fait une demande pour enregistrer ses propres marques de commerce bien plus tôt et (ou) contesté la demande de l’intimé sur la base de son utilisation antérieure avant l’obtention de l’enregistrement, il n’aurait pas eu à engager les efforts et les frais qui ont découlé de sa bataille pour atteindre notre plus haute cour pour règlement.

La décision elle-même constitue une clarification des plus utiles quant au test de confusion dans les zones géographiques, l’importance des frais liés aux biens et aux services en cause et au rôle des experts.